• La muraille

              En 1959, j'avais sept ans, j'habitais avec ma famille au Schettet El Gharbi, l'un des plus vieux et des plus populaires quartiers du sud de Laghouat. Je jouais au ballon des matchs de football des plus chauds, parfois au volley ball, en réalité, ça n'avait rien avoir avec ce sport. Je me rappelle quelque chose d'assez particulière, quand nous jouions aux billes, des soldats français, du haut de la muraille, sur la petite colline, tiraient sur les billes . Nous prenions la fuite de peur d’être atteint. Heureusement personne, à ma connaissance, n'a été blessé. Cette muraille de pierres construite sur la colline qui surplombait le quartier sud de la ville était une énigme pour nous, les gosses. Nous nous demandions ce qu'il y avait derrière elle. Cette vieille muraille gardait bien ses secrets.

            Un jour, un ami de mon age, Abdallah, m'a confié qu'il était monté jusqu'au pied de la muraille et qu'il avait même fait la connaissance d'un militaire qui se nommait Jean. Je lui avais dit qu'il me racontait des salades et que toute personne qui s'aventurait sur la colline risquait gros . Il m'avait dit  qu'il était près à y aller en ma compagnie si j'avais du courage. J'avais peur de je ne sais quoi. Mais la curiosité l'emporta sur la peur . L'aventure commença. Il marchait devant moi, je le suivais la peur au ventre. J'avais très peur mais il n'était pas question de rebrousser chemin. Je ne voulais pas être la risée de tous mes copains. Je grimpais, j’étais essoufflé, je suais, j'entendais mon cœur qui battait à se rompre. J’espérais que Abdallah rebroussait chemin mais en vain. Une fois au pied de la muraille, mon copain, mit les deux mains en forme de haut parleur et cria " Jean ! Jean !" Rien, personne, m'avait - il menti? Tous ces efforts pour rien? Il recommença. J'avais moins peur mais je voulais toujours descendre. Puis un roumi ,un français, en civil apparu sur le haut de la dite muraille.  Il ( le roumi) a  donné  à Abdallah un morceau de pain, un fromage et une bouteille de gazzouze, boisson gazeuse.

             Une fois chez nous , j'étais heureux car j'étais encore en vie après cette aventure. Abdallah cachait jalousement son butin. Comme il ne pouvait pas cacher la bouteille, il a essayé de mentir à sa grand mère. J'ai sauté sur l’occasion, un peu pour me venger, et j'ai tout déballé. Puis j'ai reculé pour éviter la gifle de ma mère, mon copain l'a bien reçue, lui. Alors Al Mazia, la grand mère nous avait dit que ce n'était pas du gazzouze mais du vin, c'est hram, interdit par la religion. Voyant son petit fils pleurait, elle a cédé et a décidé d'aller consulter si Hadj Mohamed rabi yadhmou, un épicier du quartier. Une référence quoi. Al Mazia suivit par toute une horde, est allée au "moufti". Hadj Mohamed, mis ses lunettes, ausculta la bouteille sur toutes les faces, la fit tourner et retourner. A cet instant, le téléphone sonna. C'était, à ma connaissance , le seul téléphone du quartier. Un moment après, il est revenu, pris la bouteille, on était suspendu à ses lèvres, et son verdict tomba " c'est du gazzouze ahlal, ce n'était pas péché de le boire." Il ajouta, pour donner de l'ampleur à ce qu'il avait dit " faut pas en boire beaucoup, ça fait mal au ventre". Comme si nous allions en boire beaucoup, plus d'une vingtaine de personnes que nous étions.

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